Le blog du NPA82

L’étau se resserre autour des « tueurs » de l’abeille

Pour la première fois, un consensus émerge dans le monde scientifique et apicole sur les causes des surmortalités qui affectent les populations d’abeilles de la plupart des continents. Ce tournant est perceptible au congrès Apimondia, qui réunit à Montpellier, du mardi 15 au dimanche 20 septembre, 500 scientifiques spécialistes de l’abeille et 10 000 participants

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Après plusieurs années marquées par la recherche infructueuse d’un « tueur » patenté de l’abeille - virus, parasite ou pesticides -, la théorie de facteurs multiples, qui agiraient séparément mais aussi combineraient leurs forces, est de plus en plus partagée. C’est désormais l’axe de recherche privilégié. « Nous n’avons toujours pas d’explication claire du phénomène, mais nous sommes sûrs qu’il n’a pas une cause unique », affirme le biologiste Peter Neumann, responsable d’un programme international de prévention des pertes de colonies baptisé Coloss.

« On peut faire un parallèle avec la grippe chez l’homme, qui peut avoir des conséquences graves si l’organisme est déjà affaibli, a expliqué Jeff Pettis, directeur de recherche au ministère de l’agriculture américain. Je pense que l’abeille est soumise à toute une série de stress, et que les virus et autres pathogènes sont des opportunistes qui la tuent parce qu’elle est déjà affaiblie. »

Sur le terrain, l’hécatombe continue. Les chiffres présentés au congrès Apimondia confirment l’ampleur des mortalités. Aux Etats-Unis, le taux de pertes a atteint 30 % à la sortie de l’hiver dernier. Le Canada a également perdu quasiment un tiers de ses populations d’abeilles. En Europe, les chiffres varient entre - 10 % et - 30 %.

En France, l’enquête effectuée par le Centre national de développement apicole (CNDA) devrait aboutir à un chiffre compris entre 20 % et 25 %. Au Moyen-Orient, les mortalités atteignaient, en 2008, environ 20 % du cheptel en Jordanie et au Liban, et allaient de 22 % à 80 % selon les régions étudiées en Syrie et en Irak. Des surmortalités ont également eu lieu au Japon, en Argentine et au Brésil, mais elles n’ont pas été quantifiées.

Diverses théories se sont affrontées ces dernières années pour les expliquer. Les apiculteurs européens, en premier lieu les Français, accusent les pesticides, responsables d’intoxications aiguës, mais aussi soupçonnés de provoquer des intoxications chroniques.

La plupart des scientifiques, eux, ont désigné comme coupable Varroa destructor, un parasite présent partout sur le globe, qui n’est pas toujours traité correctement par les apiculteurs. Un chercheur espagnol, Mariano Higes, voit plutôt dans le champignon microscopique Nosema ceranae la cause de tous les maux. Enfin, des scientifiques américains ont récemment suivi la piste d’un virus (Israeli acute paralysis virus) présent dans les colonies affectées par le syndrome d’effondrement des colonies. Mais aucune théorie ne l’a emporté.

Les scientifiques parlent désormais de phénomène « multifactoriel ». Les divers suspects seraient tour à tour responsables des mortalités - qui n’ont pas forcément les mêmes causes dans tous les pays. Mais surtout, la piste d’interactions entre eux est prise très au sérieux. Selon cette théorie, l’abeille serait affectée par une série de stress « primaires ». Les virus et champignons seraient des agents « secondaires », qui profiteraient de la faiblesse des abeilles.

La liste des « stress » subis par l’insecte est longue. Il y a bien sûr la présence du Varroa, surnommé le « vampire de l’abeille ». Le changement climatique raréfie les disponibilités en eau. Les effets de l’exposition chronique aux faibles doses de pesticides présentes partout dans l’environnement et les interactions entre les multiples molécules utilisées ne sont pas correctement évalués. Enfin, l’appauvrissement de l’alimentation des abeilles, dû aux monocultures intensives, serait également en cause. « On sait qu’avec un pollen dont la valeur nutritive est faible, l’abeille est moins bien armée pour détoxifier les pesticides », explique Axel Decourtye, spécialiste des abeilles à l’Association de coordination technique agricole (ACTA).

 

Marché mondial des reines

Autre source potentielle de troubles : l’existence d’un marché mondial des reines, qui privilégie les variétés les plus productives au détriment de celles adaptées aux conditions locales, et appauvrit la diversité génétique. En Syrie, les apiculteurs ont remarqué que les colonies dont les reines avaient été importées mouraient en plus grand nombre que les espèces locales. Ces échanges favorisent, en outre, la diffusion des maladies et parasites.

Les scientifiques sont encore loin d’y voir clair. « La colonie est un système complexe (elle peut compter jusqu’à 40 000 abeilles), qui peut être influencé par de multiples facteurs, variables dans le temps et l’espace, explique M. Decourtye. Nous avons affaire à des effets différés dans le temps très difficiles à appréhender. »

L’absence de données standardisées est un handicap majeur. « Aujourd’hui, chaque pays déclare selon ses propres critères, et certains ne déclarent rien, relève Peter Neumann. Nous devons absolument avoir une idée claire des symptômes présentés par les colonies mortes ou affaiblies. »

Selon le chercheur, la question du déclin des pollinisateurs est « gravement sous-estimée par les gouvernements ». La mortalité des abeilles n’affecte pas seulement les apiculteurs, contraints de « remonter » leur cheptel en divisant leurs essaims, en achetant de nouvelles reines... ou de mettre la clé sous la porte.

Si la citation catastrophiste d’Einstein, qui prédisait l’extinction de l’homme quatre ans après celle de l’abeille, est apocryphe, les conséquences d’une disparition des insectes pollinisateurs seraient graves, estiment les chercheurs. Un tiers de l’alimentation européenne, en particulier les fruits et légumes, doit être pollinisé par des abeilles domestiques ou sauvages. « Nous aurons moins de nourriture, dans un monde en croissance démographique, prévient M. Neumann. Sans parler de l’impact de la disparition des abeilles sauvages. » Essentielles à la préservation de la biodiversité, celles-ci disparaissent elles aussi à un rythme inquiétant.

 

Gaëlle Dupont


Incertitudes sur la situation en Chine

La Chine, premier pays apicole au monde, avec 200 000 apiculteurs et six millions de colonies, connaît-elle des pertes anormales d’abeilles ? « Il est très difficile de recueillir des données sur ce pays, explique le biologiste Peter Neumann, coordinateur du réseau de prévention des mortalités, Coloss. Officiellement, il ne se passe rien. Mais quand on en discute en privé, des cas d’effondrements sont rapportés. »

Voilà pourquoi la présentation de Wei Shi, de l’Institut de l’Académie des sciences agricoles de Pékin, était particulièrement attendue au congrès Apimondia. Le chercheur, qui devait relater les pertes « inexpliquées » de colonies, ne s’est pas présenté. « Ils ont eu peur de la grippe A », explique Henri Clément, président de l’Union nationale des apiculteurs de France (UNAF), co-organisateur du congrès.

* Article paru dans le Monde, édition du 19.09.09. | 18.09.09 | 14h01 • Mis à jour le 02.08.11 | 11h36.


 La mortalité élevée des abeilles due à des facteurs multiples

LEMONDE.FR avec AFP | 06.06.11 | 19h57

L’idée qu’un seul facteur serait à l’origine de la mortalité accrue des colonies d’abeilles a encore été écartée, lundi 6 juin [2011], à l’issue d’une réunion organisée par le Réseau biodiversité pour les abeilles et l’ONU. La mortalité des abeilles reste largement inexpliquée, ont rappelé les experts, et il vaudrait mieux privilégier l’approche multifactorielle pour comprendre le phénomène. « Le problème est complexe : il y a une interaction entre différents facteurs qui exacerbe l’ensemble du phénomène », a résumé Dennis Van Engelsdorp, chercheur de l’université de Pennsylvanie et coordinateur des groupes de travail étudiant le phénomène aux Etats-Unis.

« On a identifié soixante-quatre variables différentes, allant des pesticides aux modifications génétiques et agents chimiques, mais nous n’avons pas pu trouver LA solution », a reconnu M. Van Engelsdorp. « En France on a cru avoir découvert un syndrome avec l’arrivée sur le marché du Gaucho et d’autres pesticides du genre, mais dix ans après on est toujours face au même problème », a constaté Philippe Lecompte, président du Réseau biodiversité pour les abeilles.

« DRAMATIQUE »

Un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) avait recensé en mars dernier une douzaine de facteurs pouvant expliquer la mortalité des abeilles surtout dans les pays industrialisés du Nord. Aux Etats-Unis par exemple, la situation est « dramatique pour les apiculteurs commerciaux qui accusent une perte d’environ 33 % des colonies », assure Dennis Van Engelsdorp. Les études menées par les spécialistes de Pennsylvanie ont noté « un niveau élevé de fongicide dans le pollen avec un effet néfaste déterminant pour la production de miel ».

Dès 2009, un congrès réunissant cinq cents scientifiques spécialistes de l’abeille et dix mille participants étaient arrivé à la conclusion que le « tueur » patenté de l’abeille – virus, parasite ou pesticide – n’existait pas, faisant émerger la théorie de facteurs multiples qui agiraient séparément, mais aussi combineraient leurs forces.


 L’invasion du frelon asiatique, mangeur d’abeilles

BORDEAUX, CORRESPONDANTE - Chaque week-end, dès le début du mois d’août, Frédéric Wielezynski, un apiculteur amateur installé dans le Médoc, répète inlassablement les mêmes gestes dérisoires. Muni d’une tapette à mouches, il se poste devant l’entrée d’une de ses ruches. Là, il écrase de gros frelons mangeurs d’abeilles. Pas n’importe quel frelon : le frelon asiatique (Vespa velutina). « Je sais que ça ne sert à rien car il y en a des dizaines autour qui vont venir dès que j’aurai le dos tourné, mais je ne peux pas faire autrement, souffle le président du Syndicat des apiculteurs de Gironde et d’Aquitaine. J’aime mes abeilles et je ne peux pas les regarder se faire dévorer sans rien faire. » La scène est impressionnante.

Avec trois, cinq, parfois dix de ses congénères, l’hyménoptère fait des vols stationnaires devant la ruche. Il attend le retour des butineuses. « C’est comme une descente de barbares qui détruisent tout sur leur passage », tonne Richard Legrand, vice-président du Syndicat des apiculteurs de Dordogne, l’un des départements les plus touchés. Une fois sa proie attrapée, c’est la curée : Vespa velutina se suspend à une branche et commence son découpage macabre : la tête de l’abeille tombe, puis les ailes et les pattes. Il ne conserve que le thorax, riche en protéines, qui, une fois ramené au nid, deviendra une boulette pour les larves affamées.

A partir de septembre, il est même fréquent de voir les frelons pénétrer dans les ruches et manger les couvains, car les abeilles gardiennes sont moins nombreuses à l’entrée. Et quand ils n’entrent pas, ce sont les abeilles qui n’osent plus sortir. Un cercle vicieux se met alors en place : « Comme elles ramènent moins d’eau et de nourriture dans la ruche, la reine ne pond plus, se désole M.Wielezynski. Le cheptel, affaibli et vieilli, a de grandes chances de mourir à l’arrivée de l’hiver. »

La découverte de frelons asiatiques – reconnaissables à leurs pattes jaunes – dans le Sud-Ouest remonte à 2004, à Tonneins (Lot-et-Garonne), chez un producteur de bonsaïs. Les insectes seraient arrivés avec des poteries chinoises importées dans le département et dans lesquelles des reines auraient hiberné. « On peut être quasiment certain qu’il s’agit d’une origine chinoise provenant d’une province autour de Shanghaï », précise Claire Villemant, entomologiste au Muséum national d’histoire naturelle et coordinatrice de travaux financés par le programme européen pour l’apiculture.

Le bilan des travaux publiés en juin par le Muséum montre l’expansion de l’insecte : trois nids recensés en 2004 dans un seul département ; près de 2 000 en 2010 dans 39 départements. Et deux nids viennent d’être repérés pour la première fois en Espagne. « Chaque année, le front d’invasion s’élargit de 100 kilomètres, avec une forte présence en Aquitaine car les conditions climatiques de cette région sont aussi bonnes, voire meilleures, que dans sa zone d’origine en Chine », constate Quentin Rome, chargé d’études au Muséum. Selon l’étude, la plupart des pays d’Europe ont un risque non négligeable de voir ce frelon s’acclimater sur leur territoire, en particulier le long des côtes atlantique et du nord de la Méditerranée. L’Europe de l’Est et la Turquie pourraient être aussi envahies.

En dépit de ce tableau, le frelon asiatique n’est pas encore classé parmi les espèces nuisibles. Car s’il fait des dégâts chez les apiculteurs amateurs, les professionnels, qui réalisent 60 % de la production nationale, sont encore relativement épargnés : « Même si nous constatons un impact récent du frelon sur les miellées tardives de septembre-octobre, les conséquences de sa prédation sont faibles et, de toute façon, moins dommageables sur un rucher de 100 unités que sur celui d’un amateur qui en compte généralement une dizaine », explique Thomas Mollet, président de l’Association de développement de l’apiculture en Aquitaine.

Il n’existe pas encore d’étude économique sur l’impact de ces « goinfres » sur la production de miel et les cheptels d’abeilles. Mais les choses bougent. Le ministère de l’agriculture a saisi, en septembre 2010, l’Institut technique de l’apiculture et de la pollinisation afin qu’il travaille sur le sujet.

 

AUCUNE TECHNIQUE DE PIÉGEAGE FIABLE

Reste la question des piqûres. Rien d’alarmant visiblement en termes de santé publique. Certes, une quinquagénaire est morte en juin dans le Médoc, suite à des piqûres de frelons asiatiques et plusieurs personnes, dont des pompiers, se font régulièrement surprendre par l’insecte. Mais rien d’alarmant. Les hôpitaux d’Agen, de Bergerac ou de Bordeaux, parmi les zones les plus envahies, n’ont pas constaté d’augmentation de cas. « Le “Vespa velutina” n’est pas agressif, surtout s’il est seul, mais il peut être potentiellement dangereux et attaquer avec ses congénères s’il se sent en danger », précise Denis Thiery, directeur de recherche d’une unité mixte de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Bordeaux. Depuis 2007, son département travaille sur l’éthologie et les techniques de piégeage de l’insecte.

A ce jour, aucune technique fiable et sélective à 100 % n’a été trouvée. Les apiculteurs utilisent de manière très artisanale un mélange à base d’alcool et de solution sucrée, qui attire, certes, les frelons asiatiques mais aussi d’autres insectes. Une solution que les chercheurs regrettent, surtout quand ces pièges sont placés au printemps, dès le mois de mars, dans l’espoir d’attraper des fondatrices pour diminuer le nombre de nids à venir. « Quand on piège n’importe où, on tue en même temps la faune auxiliaire, des milliers d’insectes sans rapport avec le frelon », proteste Mme Villemant. Même si on attrape une centaine de frelons, c’est dérisoire. En revanche, piéger en août à côté des ruchers permet de diminuer la pression sur les abeilles.«  Ce raisonnement fait fulminer Richard Legrand, spécialiste du frelon à pattes jaunes à l’Union nationale des apiculteurs français :  »Si le piégeage est fait de manière régulière, avec un emplacement, un appât et une période bien choisie, comme celle du retour des hirondelles, alors c’est efficace sans trop de casse sur la faune auxiliaire.«  »De toute façon, il faut être lucide, tranche Claire Villemant : cette espèce fait désormais partie de la faune française. Il va falloir apprendre à vivre avec."


Claudia Courtois

* Article paru dans le Monde, édition du 03.08.11. | 02.08.11 | 13h16 • Mis à jour le 02.08.11 | 13h26.

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